📣 Faute d’avoir trouvé l’équivalent en français pour ce jeu de mot, je le laisse en version originale. Les puristes me pardonneront et les anglophiles souriront.
Dans cet article j’aimerais partager quelques histoires de sortie de la vie de rue dont j’ai été témoin dans ma carrière professionnelle. Appelez-les sans domicile fixes (SDF), sans abris, sans domicile stable (SDS), c’est ainsi que les travailleurs sociaux les désignent à présent. Cela n’est plus à démontrer, le nombre de personnes qui vivent dans la rue ne cesse d’augmenter. Les derniers chiffres de la Fondation Abbé Pierre (330.000 environ) le montrent bien chaque année. S’ils sont parfois appelés “invisibles”, il est tout de même difficile de ne pas les remarquer.
J’ai souvent des échanges avec des personnes dans la vie privée qui ne comprennent pas “pourquoi on laisse ces personnes dans la rue”. En général je n’entre pas dans les détails, j’explique simplement que la réponse à cette question est assez complexe tant les situations varient d’un individu à l’autre. Il y a des personnes dont c’est le mode de vie choisi, qu’on le comprenne ou pas. L’enfermement que représente le fait d’habiter dans des murs, les contraintes que cela entraine en matière de charges, sont autant de raisons qui peuvent induire ce choix. La vie dans les accueils de nuit n’est pas tolérée par tous non plus, il y a une proximité subie, les personnes se trouvent obligées de partager un moment aussi intime que le sommeil avec des inconnus. Certains se plaignent des vols qui peuvent survenir, de l’agressivité de quelques autres. Il y a aussi dans la population qui vit dans la rue des personnes atteintes de pathologies psychiatriques diagnostiquées ou pas, traitées ou pas, ce qui peut expliquer qu’elles ont une perception différente de la “normalité”. Tous les lieux d’accueil n’acceptent pas les animaux, ce qui peut aussi représenter un frein. L’accès à un hébergement est conditionné par l’appel d’un numéro qui est souvent surchargé et qui n’offre pas assez de place. Autant de raisons qui font que beaucoup de personnes préfèrent dormir dehors. Je dis souvent ” tout le monde peut se retrouver à la rue, mais on n’y reste pas pendant des années par hasard”. Ce préambule pour exprimer qu’il n’y a pas que le “manque de logements” qui justifie la présence d’un grand nombre de personnes à la rue. La question du manque de logements est d’ailleurs à relativiser, mais cela pourrait être le sujet d’un autre article.
L’accompagnement du public vivant dans la rue est un des plus complexe parce que ce sont des personnes qui présentent généralement des parcours très complexes, avec des ruptures sur plusieurs plans. Ces parcours sont souvent jalonnés d’embuches qui se traduisent par de la précarité sur le plan médical (absence de droits pour se faire soigner), précarité administrative (les papiers d’identité sont souvent égarés durant l’errance, ou l’irrégularité du séjour), précarité économique (absence de revenus, ou travailleurs dits “pauvres”), précarité affective (isolement et absence de liens familiaux et amicaux). A cela peuvent s’ajouter d’autres problème induits et/ou aggravés par la situation dans la rue (addictions, pathologies psychiatriques).
L’accompagnement des personnes sans domicile peut se faire dans le cadre des PASS (permanence d’accès aux soins de santé), dans les CCAS (centre communal d’action sociale), le SAMU social, et les associations caritatives qui font des maraudes. Il y a également les CSAPA (centre de soins et d’accompagnement à la prévention en addictologie) et les CAARUD (centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues) à bas seuil de tolérance qui reçoivent les personnes souffrant d’addictions, dans une perspective de réduction des risques. Les services dispensés par ces différentes structures sont l’ouverture des droits, l’accès aux soins, la domiciliation et l’orientation vers des structures d’hébergement. La méthodologie privilégiée est l’aller-vers, c’est-à-dire le fait de se déplacer vers ces personnes sans attendre qu’elles viennent solliciter les services sociaux en vue de réactiver ou activer leurs droits sociaux. En effet, il est courant que ces personnes soient sans demande.
Une fois qu’elles ont été repérées, s’entame un long parcours qui va avoir pour objectif de les réinsérer dans la société. Dans notre société, l’insertion passe par plusieurs volets tels que le travail, le logement, la vie civique et culturelle. On part du principe qu’une personne qui dispose de ces éléments est susceptible d’éprouver un plus grand sentiment de protection, elle devient moins vulnérable. Dans cet article, je vais parler de l’accompagnement de personnes sans domicile stable qui sont dans une démarche de réinsertion et qui sont prises en charge dans des services dédiées aux personnes atteintes de pathologies chroniques et invalidantes, j’ai nommé les appartements de coordination thérapeutique (ACT).
Les noms des personnes ont été modifiés pour préserver leur anonymat.
Vlad, le colosse à la belle écriture
Il souffre d’une pathologie chronique invalidante, il a été orienté aux ACT par l’équipe du SAMU social qui le connaissait depuis des années. Vlad est en France depuis dix-sept ans, il est toujours resté avec des membres de sa communauté d’origine et n’a jamais eu besoin d’apprendre le français. Il vit de la mendicité avec ses copains de la rue et ils boivent des bières pour se donner du courage. Peu à peu, avec l’âge, ce mode de vie devient difficile à tenir et Vlad développe plusieurs pathologies qui entraînent des hospitalisations répétées, puis des retours à la rue. L’équipe du SAMU décide donc de l’orienter vers les ACT afin qu’il puisse bénéficier d’un accompagnement médico-social couplé à un hébergement. À l’arrivée, l’objectif est de donner du répit aux personnes, leur permettre de se poser, puis progressivement, des axes d’accompagnement sont construits avec la personne. Pour Vlad deux objectifs se dégageaient dans un premier temps, stabiliser son état de santé et travailler un projet professionnel. Au bout de quelques mois, les droits de Vlad on été rétablis (passeport expiré depuis dix ans refait, droits à l’AME (aide médicale d’Etat) ouverts). Sans ressources, Vlad voulait travailler pour gagner sa vie, mais la barrière de la langue était un des obstacles majeurs à son insertion socioprofessionnelle. Grâce à un stage réalisé en entreprise adaptée, et l’inscription au pôle emploi, Vlad a pu intégrer une formation en français langue étrangère. Il a ensuite enchaîné avec un stage de remise à niveau intégrant des immersions en entreprise.
Vlad a vécu dix-sept ans dans la rue, il a été hébergé dans un studio à son arrivée aux ACT. Les premiers mois il restait très peu dans l’appartement, il se disait content d’être à l’abris, de pouvoir se soigner. L’équipe a dû lui réapprendre l’art d’habiter un appartement, avec un accompagnement bienveillant. Dix-huit mois après son arrivée, Vlad s’occupait très bien de l’appartement, il l’entretenait, cuisinait, se réappropriait l’espace en apportant des objets de décoration. L’objectif à terme est de permettre à Vlad d’avoir des revenus stables par le travail, et d’intégrer un appartement personnel. Cela prend du temps et nécessite de l’accompagner sur la gestion du budget, la prise en compte de toutes les charges qu’implique la location d’un appartement. Ce travail est long mais nécessaire pour éviter de nouvelles ruptures et le retour à la rue qui semble ne plus faire partie des projets de Vlad.
Miko, l’économiste râleur
Miko est arrivé aux ACT sur orientation du CAARUD. Cela faisait dix ans qu’il était en France, il avait toujours vécu dans des squats et après avoir été expulsé du dernier qu’il occupait, il dormait dans la rue. La toxicomanie dont il souffrait avait causé de nombreuses pathologies chroniques dont des problèmes cardiaques nécessitant une opération et une mise à l’abris.
Comme pour Vlad, un appartement a été mis à la disposition de Miko et des démarches ont été entamées pour régulariser sa situation administrative sur le territoire. Grâce à l’accompagnement de l’équipe des ACT, Miko a retrouvé des droits à l’AME, il a pu être opéré. Il a demandé le séjour pour étranger malade, cela lui a été accordé et grâce à cela il a pu bénéficier de la reconnaissance de son statut de personne en situation de handicap, avec l’ouverture de droits à l’AAH (allocation d’adulte handicapé). Plusieurs mois se sont écoulés pour stabiliser la situation de Miko, il a obtenu un logement social en sous-location avec une association d’insertion par le logement.
Miko a appris à prendre soin d’un appartement durant son séjour aux ACT, à présent, il entretient son appartement, il est très assidu pour payer ses charges mensuelles. Il a besoin d’aide pour la réalisation des démarches administratives, mais il est proactif et sollicite l’aide dont il a besoin.
J’ai voulu partager ces deux situations pour témoigner du fait qu’il est tout à fait possible de sortir de la rue. Que des services spécialisés existent et font un travail remarquable qui mérite d’être salué.